Tribune libre
Retour06 mai 2021
Pourquoi l’Église catholique persiste-t-elle à ignorer les racines de la crise des abus?
©Photo archives - Le Citoyen Val d'Or - Amos
En 2019, l’abbé Brian Boucher était reconnu coupable d’agressions sexuelles et condamné à 8 ans de prison. Suite à l’enquête d’un an qu’elle menait à la demande de l’archevêque de Montréal, Christian Lépine, la juge à la retraite de la Cour supérieure du Québec, Pepita G. Capriolo, rendait public son rapport début novembre 2020 dans lequel elle identifie les défaillances, dans la hiérarchie de l’Église catholique de Montréal, qui firent en sorte que ce prêtre ait pu exercer son ministère pendant plus de trente ans, et ce malgré de nombreux signaux d’alarmes déclenchés assez tôt dans sa vie. Et elle terminait son rapport en formulant 31 recommandations, dont la mise en œuvre était rendue publique le 5 mai 2021.
Même si cette réforme représente un pas positif pour l’Église, elle laisse cependant intactes les racines profondes des abus. Elle ne touche qu’à l’aspect transparence, formation et discipline : création d’un poste d’ombudsman pour traiter des plaintes, tenir un registre des abus commis, mettre de l’ordre dans les archives, cesser de détruire ou cacher des documents sensibles, améliorer la formation des prêtres, etc.
Capriolo elle-même reconnait les limites de ses recommandations. Aller plus en profondeur, affirme-elle, exigerait « une certaine connaissance du droit canon, du dogme, de la tradition et de l’histoire catholiques », ce qui dépasse le champ de ma compétence. Je ne touche « aucunement aux dogmes catholiques », avoue-t-elle candidement.
Capriolo se permet tout de même de mentionner qu’il faudrait peut-être que l’Église accorde un rôle accru pour les femmes, remette en question le célibat et cette vision du « prêtre comme être quasi sacré » et réfléchisse au sceau de la confession.
Comme le notent deux des plus grands spécialistes des abus sexuels du clergé aux États-Unis, l’ex-moine bénédictin Richard Sipe et l’ex-dominicain Tom Doyle, les racines profondes de la crise se trouvent précisément au niveau idéologique de l’Église. Plus précisément dans les trois éléments suivants :
- Une théologie selon laquelle devenir prêtre permettrait à quelqu’un d’accéder à une vie spirituelle plus intense et profonde et le doterait de pouvoirs divins qu'aucun autre être humain ne possède. Fondement on ne peut plus clair du cléricalisme, mais que continue assez étonnamment de proclamer le pape François, qui ne cesse pourtant, depuis le début de sa papauté, de dénoncer le cléricalisme! Ce pape approuvait, le 21 juin 2019, un document du Vatican qui place carrément le prêtre dans une catégorie complètement à part. Il affirme que le prêtre, au moment de la consécration et de la confession, agit « non en tant qu’homme mais en tant que Dieu ».
- Une règle administrative qui laisse entendre que renoncer à toute vie sexuelle représente une voie spirituelle supérieure et, comme l’affirmait le Pape Pie X, « transforme un prêtre en ange, lui assure la vénération des fidèles, et confère à son activité une bénédiction et une efficacité surnaturelles ». Une règle carrément remise en question par Vatican II et sans fondement évangélique mais que le pape Paul VI réaffirmait comme « joyau brillant qui conserve sa valeur intacte même à notre époque », mettant ainsi fin de façon monarchique à toute discussion. Et que le pape François, tout en reconnaissant qu’il ne s’agit que d’une simple règle, dit encore beaucoup valoriser et apprécier!
- Des prêtres dont la maturité psychosexuelle, aussi impressionnantes que soient leurs qualités intellectuelles, est figée au niveau de l’adolescence. D’une part à cause d’une formation au séminaire où tout ce qui est sexuel est considéré péché, et, d’autre part, parce que les séminaristes ne vivent pas l'évolution psychosexuelle normale découlant de fréquentations. Cela expliquerait, selon de nombreux thérapeutes, pourquoi les prêtres sont souvent amenés à satisfaire leurs pulsions sexuelles avec des adolescents, c’est-à-dire ceux dont la maturité psychosexuelle reflète la leur. Et, en raison du contexte entièrement masculin des séminaires, des adolescents généralement (environ 80%) masculins. Richard Sipe fournit une statistique époustouflante pour illustrer ce point : « Trente pour cent des deux classes de diplômés, 1966 et 1972, d'un éminent séminaire américain, le St. John's Seminary à Camarillo, CA, se sont avérés être des abuseurs sexuels de mineurs. »
Rien de plus normal que la juge Capriolo omette de faire des recommandations au sujet des racines plus profondes de la crise, qui, comme elle l’admet, dépassent son champ de compétence. Cependant, que les intervenants au colloque international virtuel sur la crise des abus qu’organisait du 28 avril au 1er mai 2021 le Centre de protection des mineurs et des personnes vulnérables de l’Université Saint-Paul omettent ces racines me trouble profondément. Ce colloque sur le thème « L’Église déchirée » réunissait pourtant des experts qui avaient toutes les connaissances requises - droit canon, dogme, tradition et histoire de l’Église - pour aller plus en profondeur. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait?
Il faudra que l’Église catholique trouve le courage un jour de se demander si une plus grande compassion pour les victimes que font les prêtres abuseurs n’exigerait pas qu’elle ose s’attaquer aux racines véritables du problème au lieu de s’en tenir constamment à de simples pansements disciplinaires.
Oui, les prêtres font des victimes. Mais ne sont-ils pas eux-aussi des victimes d’une institution qui reflète davantage l’empire romain que l’évangile?
Ovide Bastien
Auteur de «Pourquoi? Les abus sexuels dans l’Église catholique»
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